Il est 8h00, Paris s’éveille et je sors doucement du métro. Les yeux embrumés, je ne peux pas m’empêcher de me dire que le temps est d’une douceur inhabituelle, ma légère veste en cuir me rappelle que mes affaires de snowboard sont au placard à près de 1000km d’ici. Elles dorment, comme les parisiens qui m’entourent.
Mais ce matin est légèrement différent, car au coeur de la capitale, derrière la porte cochère d’un immeuble haussmannien, au fond d’une cours pavée, m’attend Géraldine Fasnacht, et ensemble nous allons parler de montagne, de neige et de sessions à venir.
Des boucles blondes, un regard pétillant et un sourire chaleureux… Pas sûr qu’en la regardant sans la connaitre, l’on devine son palmarès : Base jumpeuse émérite, snowboardeuse primée, aventurière et j’en passe.
C’est la première fois que nous nous rencontrons et pourtant, tout de suite, je me sens à l’aise, l’odeur du sapin frais ne flotte pas dans l’air, ni même la fraicheur des sommets, mais je me dis que nous aurions pu nous rencontrer dans un refuge au détour d’une escapade montagnarde 🙂
Lorsque je lui demande d’où lui vient cette passion pour la montagne, son visage s’éclaire.
«Pour moi c’était totalement naturel. Je suis née dans un pays qui a plus des 3/4 de sa surface composée de montagnes. Quelques part pour nous c’est normal de glisser, on apprend à marcher et puis on met des skis !» espiègle, elle ajoute «Ce qui n’est pas naturel c’est plutôt de voir quelqu’un qui ne ski pas en Suisse»
Je conviens que le snowboard est naturel, mais le basejump* c’est autre chose, je ne peux pas m’empêcher de lui demander ce qui l’a amenée à sauter d’une falaise.
«Je voulais trouver un sport qui me fasse autant vibrer l’été que le snowboard le faisait l’hiver» L’escalade, le vélo, la rando, Géraldine a tout essayé mais quelque chose la laissait insatisfaite «Ce n’est pas vraiment mon truc de monter à pied en haut d’une montagne ; j’adore ça mais je n’aime pas descendre à pied derrière. Et quand j’ai vu des images de basejump pour la première fois dans les années 90 je me suis dit… wahoo ça, ça a l’air fabuleux !» Ni une ni deux l’évidence était là «C’est le parallèle parfait avec le snowboard freeride : c’est monter au sommet d’une montagne esthétique, trouver une belle ligne de montée, une belle ligne de descente, la rider ou la voler» …
«Le snowboard me fait tellement vibrer ! Quand on la chance d’être au sommet d’une face, d’avoir les conditions parfaites, la lumière parfaite et cette impression de voler sur la neige avec sa planche… J’avais envie de retrouver cette impression dans un sport d’été, je l’ai trouvé dans le basejump»
Les yeux de la passionnée pétillent et je ne peux m’empêcher de frissonner… j’imagine le vide sous mes pieds, je ressens la fraicheur saisissante des sommets et la sensation d’absolu lorsqu’on domine une montagne… Géraldine a le don de recréer cet univers au fond d’une cours parisienne. Je suis presque convaincu qu’il faudrait essayer le basejump. Et pourtant un sentiment ne me lâche pas lorsque je m’imagine sauter d’une falaise… la peur ! Géraldine tu n’as pas peur toi ?
«Bien sûr que j’ai des peurs. En montagne je me sens à ma place, j’essaie toujours de me préparer le mieux possible, pour être dans les conditions optimales et être prête techniquement pour pouvoir assurer… Mais si je sens que les conditions ne sont pas réunies ou que je ne suis pas prête je préfère ne pas y aller ou faire quelques chose de plus facile»… «Je n’ai pas envie de me faire peur… quand je vais en montagne ce n’est que du plaisir»
L’amour de la montagne, le plaisir de l’adrénaline est une chose, c’est ce qui t’as poussé à faire de la compétition…
«Pour moi ce n’était pas un but en soi de faire de la compet’, mais à l’âge de 15 ans l’Xtreme* s’est organisé pour la première fois à Verbier. J’ai vu pour la première fois de ma vie les meilleurs riders du monde qui descendaient le Bec des rosses, …, là où j’ai tout appris, sur une montagne que je connaissais et que je n’avais jamais rider, et c’est devenu pour moi une idée fixe. J’avais vraiment envie, un jour, d’être là, au sommet du bec des rosses pour l’Xtreme de Verbier avec les meilleurs riders du monde ! Et du coup … je n’ai fait que m’entrainer pour ça !»
Comment t’y es-tu prise ?
«J’ai fait toutes les petites compet’ que je trouvais à droite à gauche… parce qu’à l’époque il n’y avait pas de tour junior, il n’y avait pas de Freeride Qualifier, mais il y avait régulièrement des événements organisés en France ou en Suisse. (…) à coté je faisais pas mal de freestyle aussi car c’était la seule manière d’être visible pour être un jour invitée à l’Xtreme. A cette époque c’était uniquement sur Wildcard, on ne pouvait pas s’inscrire à cette compétition comme ça. Et quand j’ai eu 21 ans l’organisateur m’a appelé pour la première fois. Pour moi c’était déjà une victoire, j’allais enfin rider avec les meilleurs du monde, tous les riders que j’avais en poster dans ma chambre. Pour moi gagner l’Xtreme n’était pas un but en soi, comme je vous l’ai déjà dit, mais… comble du bonheur, j’ai gagné à ma première participation cette année là et après je me suis fait prendre dans l’ambiance : j’ai été invité pour faire des photos, des voyages, j’ai eu mes premiers sponsors, je me suis dit « vis le moment présent et puis tu verras »»
Et Géraldine a vu… et elle a vaincu aussi : 20 podiums en snowboard sur le circuit international freeride de 2002 à 2010, 11 victoires internationales , 3 victoires à l’Xtreme de Verbier (2002-2003-2009). Sans parler du titre de rideuse de l’année décroché en 2009… c’était d’ailleurs la première fois qu’une femme recevait ce titre… Si aujourd’hui les choses sont plus faciles lorsqu’on est une fille dans le milieu des sports extrêmes, ça n’a pas toujours été le cas. «Être une fille dans le milieu ride ça change quelque chose, car être une fille à la base ça change quelque chose de toute façon (…) C’est clair que les sports que je pratique sont très masculins. Il faut prouver qu’on a sa place, il ne faut pas qu’on nous attende … et je pense que c’est ce qui a fait que mon niveau a vite augmenté. Grâce aux garçons avec qui je ridais tout le temps, j’étais obligée de suivre, j’étais obligée d’être là car si je n’étais pas là en bas de la piste ils n’allaient pas m’attendre pour remonter (…) finalement c’est ce qui m’a aidée à rider comme ça et en basejump c’est pareil. Quand on est dans la montagne avec des mecs il faut montrer qu’on a sa place et puis qu’ils ne nous font pas une fleur.»
Mais Géraldine ce n’est pas seulement de la compétition et des expéditions, c’est aussi une association : Mountain line foundation. Créée en 2003 avec son mari, ils ont voulu rendre la montagne accessible à tous «Certaines personnes n’auront peut être pas les moyens de faire des sports de montagne car ils habitent trop loin ou parce qu’ils n’en ont pas les moyens financiers, car ce sont des sports qui coutent très cher» mais ce n’est pas tout «Il y a aussi des jeunes riders qui ont énormément de talent et aimeraient peut être devenir pro rider (…) on récolte des fonds pour permettre à des jeunes de découvrir la montagne, on paie des frais pour qu’ils puissent se lancer». Et depuis l’hiver 2011, Géraldine met également son expérience au profit des futures stars du freeride. Coach d’Estelle Balet et de Gaspard Piccot, elle leur transmet ses connaissances et leur fait partager son expérience.
Il est bientôt l’heure de se quitter, il ne neige toujours pas mais le ciel me semble un peu moins gris, un dernier mot Géraldine ?
«Ne jamais arrêter de rêver ! Quand on rêve à quelque chose il faut se donner le moyen de le faire et quand on est vraiment décidé à le réaliser et bien ça se passe… rien n’est impossible !
Regarde, moi, depuis que je suis toute petite on m’a toujours dit qu’il était impossible de voler et pourtant… je vole !»
Pour trouver Géraldine :
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